Yllis

Education populaire ? Vous avez dit Ă©ducation populaire ?

Depuis longtemps, je dis que je fais de l’Éducation populaire et je me revendique de ce courant. Sans jamais m’ĂȘtre vraiment posĂ©e la question de ce que ça signifiait. Enfin si, un peu. Je pensais et disais qu’il s’agissait de “l’émancipation par la culture”. Émancipation de qui ? de quoi ? 

Ça, je n’avais jamais creusĂ© jusque lĂ  !

Il y a quelques mois, lors d’un rendez-vous pour le renouvellement d’une aide du Fonjep (structure dont une des missions est de « soutenir l’éducation populaire »), la directrice m’a prĂ©sentĂ© Ă  la reprĂ©sentante du Fonjep : ’’ Pascal, notre prĂ©sident, qui fait du thĂ©Ăątre et qui est aussi trĂšs sensible Ă  l’éducation populaire.

Sur le moment, je n’ai pas creusĂ©. Ce n’était pas le sujet.

C’est en fait un trùs bon thùme d’article pour ce blog.

Peut-ĂȘtre mĂȘme que cela aurait pu/dĂ» ĂȘtre le premier article Ă©crit. Un blog sur le « thĂ©Ăątre et l’Educ pop », j’aurai dĂ» dĂ©finir mon sujet  : c’est ce qu’on m’avait appris au lycĂ©e et Ă  la fac en prĂ©ambule de tout travail. Qu’est-ce que l’Éducation populaire ? (pour aller au bout de la mĂ©thode il faudrait dĂ©finir d’abord chacun des deux mots, mais bon…)

Partons de cette remarque, qu’il n’y a pas forcĂ©ment qu’une dĂ©finition du terme et une seule comprĂ©hension de ce terme.

D’aprĂšs Wikipedia, l’Educ pop est ’’un courant de pensĂ©e qui cherche Ă  promouvoir une Ă©ducation visant Ă  amĂ©liorer le systĂšme social, en dehors des cadres traditionnels de l’éducation’’. Ma propre dĂ©finition d’émancipation par la culture n’est donc pas trĂšs loin de celle-ci !

En mĂȘme temps, les rĂ©dacteurs de cet article de l’encyclopĂ©die en ligne postulent que c’est une dĂ©finition introuvable, tant il y a de versions diffĂ©rentes. Et ils en citent ensuite un certain nombre,  de diffĂ©rents penseurs et de militants de l’Éducation populaire. Je vous laisse les lire et vous faire votre propre idĂ©e sur le site de Wikipedia.

Il me semble cependant que ces dĂ©finitions tournent pour la plupart autour de la mĂȘme idĂ©e d’émancipation par le savoir en vue d’une transformation de la sociĂ©tĂ©. Ce sont surtout les modalitĂ©s et le degrĂ© de transformation de la sociĂ©tĂ© qui diffĂšrent.

Il y a donc clairement une visĂ©e politique dans cette volontĂ© d’Éducation populaire.

On pourrait en faire une gĂ©nĂ©alogie et remonter par exemple Ă  la RĂ©volution Française. Mais commençons notre petite recherche par la fin du XIX° siĂšcle. L’envie et le besoin de savoirs par l’instruction et la culture Ă©taient fortement prĂ©sents au moment de la Commune de Paris en 1871. Des mesures avaient Ă©tĂ© prises en ce sens par les Communards (Ă©ducation publique pour tous, gratuitĂ© des lieux de culture…)

Au tournant du XIX° et du XX°siĂšcle la naissance des partis sociaux dĂ©mocrates, Ă  l’époque marxistes, a souvent Ă©tĂ© accompagnĂ© par la construction dans de nombreuses villes de Maison du Peuple. Des cours du soir y Ă©taient dispensĂ©s pour les travailleurs (je vous conseille l’excellent roman de Louis Guilloux, La maison du peuple).

C’est aussi une Ă©poque oĂč Maurice Pottecher crĂ©e le ThĂ©Ăątre du Peuple Ă  Bussang. Ce n’est qu’un exemple parmi de nombreux, Ă  cette Ă©poque, d’initiatives privĂ©es visant Ă  amener la culture au peuple dans le but de ’’l’élever’’ ou d’une transformation.

Je pourrai aussi parler de CĂ©lestin Freinet dans l’entre-deux guerres et de sa pĂ©dagogie active. (D’ailleurs, je vais le faire plus loin dans la suite de l’article).

Ces exemples sont français mais bien Ă©videmment c’est une prĂ©occupation qui a Ă©tĂ© prĂ©sente dans de nombreux pays, notamment l’Allemagne, l’Italie, le BrĂ©sil… 

Je remarque en tout cas que l’essor de ce qui fut plus tard regroupĂ© sous l’appellation d’Education populaire a Ă©tĂ© de pair avec l’essor du mouvement ouvrier : naissance de partis, dĂ©veloppement des syndicats, grandes luttes, tentatives rĂ©volutionnaires…

C’est logique. Le dĂ©veloppement de l’éducation populaire a Ă©tĂ© conjoint avec celui d’une contestation de l’ordre Ă©tabli. Oui, enfin
 mĂȘme si cela semble logique, je voudrais juste prendre le temps de dĂ©cortiquer ce raisonnement.

En quoi la culture peut ĂȘtre un Ă©lĂ©ment de transformation de la sociĂ©té ?

Si on postule l’existence d’une Ă©lite Ă©conomique, une classe dominante (appelĂ©e bourgeoisie par les marxistes ) qui tient les rĂȘnes de l’économie (actionnaires et patrons des grandes entreprises dans la finance, l’industrie…). Celle-ci assoit son pouvoir, sa domination grĂące Ă  une idĂ©ologie. Cette idĂ©ologie permet que tous les autres membres de la sociĂ©tĂ© pensent que la domination Ă©conomique de quelques uns est ’’normale’’ et ’’naturelle’’. L’idĂ©ologie de ceux qui dĂ©tiennent le pouvoir Ă©conomique est transmise par de trĂšs nombreux canaux depuis l’école, les mĂ©dias, l’art… C’est naturellement que des intellectuels, des professeurs, des artistes s’en font les relais. Pour la plupart implicitement, de façon non consciente. En acceptant un certain Ă©tat de fait et en le relayant.  Et certains intellectuels peuvent ĂȘtre conscients de ce fonctionnement et le remettre en cause (souvent que de façon trĂšs partielle et pas trĂšs dangereuse pour l’élite).

C’est cette domination idĂ©ologique que Karl Marx dĂ©crivait il y un siĂšcle et demi dans l’IdĂ©ologie allemande : ’’Les pensĂ©es de la classe dominante sont aussi, Ă  toutes les Ă©poques, les pensĂ©es dominantes, autrement dit la classe qui est la puissance matĂ©rielle dominante de la sociĂ©tĂ© est aussi la puissance dominante spirituelle.Les pensĂ©es dominantes ne sont pas autre chose que l’expression idĂ©ale des rapports matĂ©riels dominants, elles sont ces rapports matĂ©riels dominants saisis sous forme d’idĂ©es, donc l’expression des rapports qui font d’une classe la classe dominante; autrement dit, ce sont les idĂ©es de sa domination.”

Si on voit les choses comme cela, avec cette grille d’analyse, cela me semble logique que la remise en cause du fonctionnement de la sociĂ©tĂ© aille avec le dĂ©veloppement d’autres valeurs culturelles, d’un savoir… C’est ce qui s’est passĂ© Ă  la fin du XIX°et au XX° siĂšcle avec les partis socialistes puis communistes et mĂȘme les anarchistes. Et ce que l’on appelle l’Éducation populaire en est, me semble-t-il, directement ou indirectement issue.

Dans les annĂ©es 1920-1930, le dirigeant communiste italien et philosophe Antonio Gramsci, alors qu’il goĂ»tait aux geĂŽles du pouvoir fasciste de Mussolini, insista dans plusieurs de ses Ă©crits sur l’importance des valeurs partagĂ©es afin que les classes dominantes puissent asseoir leur domination. C’est ce qu’il a appelĂ© l’hĂ©gĂ©monie culturelle. Ces valeurs sont portĂ©es par les classes dominantes mais toute la sociĂ©tĂ© les adopte.

Gramsci pensait que ’’toute conquĂȘte du pouvoir doit d’abord passer par un long travail idĂ©ologique, une lente prĂ©paration du terrain’’ au sein de la sociĂ©tĂ© civile. Il prĂ©conisait de progressivement subvertir les esprits, changer les valeurs dominantes, qui sont dĂ©fendues dans le public afin de crĂ©er une hĂ©gĂ©monie culturelle dans l’objectif de prendre le pouvoir. Son objectif Ă©tant de renverser les classes dominantes (normal pour un communiste Ă  l’époque !).

Autrement dit, si je suis ce qu’écrivait Gramsci, le changement de sociĂ©tĂ© passe d’abord par une reconquĂȘte du savoir et des valeurs culturelles. Construire et propager une ’’contre-culture’’ dans les classes populaires (les plus nombreuses et qui ont un intĂ©rĂȘt Ă©conomique direct au changement social) serait la premiĂšre Ă©tape vers une nouvelle sociĂ©tĂ©, moins inĂ©galitaire. Pas Ă©tonnant que nombre de tenant de l’Éducation populaire aujourd’hui aille relire Gramsci !

A la mĂȘme Ă©poque en France, il y avait CĂ©lestin Freinet.

Lui, j’ai vraiment envie d’en parler. Non seulement je trouve son entreprise formidable mais l’humain qu’il Ă©tait me touche aussi. CĂ©lestin Freinet, instituteur Ă  partir des annĂ©es 1920 Ă©tait revenu traumatisĂ© de la PremiĂšre Guerre mondiale (il y a de quoi !). AprĂšs cette monstrueuse boucherie, il estimait que l’école avait faillie. Il avait Ă©tĂ© marquĂ© par l’absence de refus de monter au combat, que les soldats ne refusent pas massivement d’ĂȘtre une chair Ă  canon croupissante dans les tranchĂ©es. Selon lui, l’école de la RĂ©publique n’avait pas formĂ© des citoyens sujets et acteurs de leur vie. Elle leur avait au contraire appris la soumission Ă  l’autoritĂ©. C’est cette tendance qu’il va chercher Ă  contrecarrer tout au long de sa carriĂšre.

CĂ©lestin Freinet avait Ă  cƓur de dĂ©velopper l’autonomie, la responsabilitĂ© et la capacitĂ© de prendre des dĂ©cisions chez l’enfant en s’appuyant sur ses qualitĂ©s naturelles. C’est le sens des mĂ©thodes qu’il a mise en place avec ses classes (c’est ce qu’on appelle la pĂ©dagogie Freinet aujourd’hui). Et je pense que les bases de sa pĂ©dagogie peuvent ĂȘtre un puissant socle de l’Éducation populaire.

Des exemples comme Freinet, il y en a beaucoup et dans de nombreux pays. Des personnalités formidables.

En fait, l’idĂ©e derriĂšre tout ça, c’est comment changer la sociĂ©tĂ©. Avec une rĂ©ponse qui dit que la culture et le savoir vont favoriser la prise de conscience et la responsabilisation de chacun. C’est l’idĂ©e principale qu’on retrouve chez la plupart des acteurs se rĂ©clamant de l’Éducation populaire.

Il suffit de se balader un peu sur la toile pour multiplier les exemples. 

Si je tape « éducation populaire » dans mon moteur de recherches…

Il y a un site qui s’appelle Education populaire. Il dĂ©fend l’idĂ©e d’une Ă©mancipation individuelle et collective pouvant transformer la sociĂ©tĂ© avec des principes d’auto-Ă©ducation. Par son graphisme ce site fait penser qu’il est animĂ© par des anarchistes.

Un autre site. Le Crajep pays de la Loire revendique l’émancipation de la personne par l’Éducation populaire.

Je vous laisse faire votre ballade
 :- ; 

Un dernier point avant de conclure cette (longue) rĂ©flexion autour de ce que peut ĂȘtre l’Éducation populaire. Je pense qu’il ne faut pas confondre Éducation populaire et ’’culture pour tous’’ ou ’’culture pour chacun’’. Et tous les termes Ă©voquant la « dĂ©mocratisation » de la culture que peut promouvoir le ministĂšre de la Culture. 

De quelle culture parlons-nous ? Quelles sont les idĂ©es qui vont ĂȘtre vĂ©hiculĂ©es ? Certains artistes et intellectuels s’empareront des moyens offerts pour questionner l’existant et les rapports de force Ă©tablis. Proposer une autre vision ou des idĂ©es pouvant ĂȘtre des outils vers une Ă©mancipation. Dans la plupart des cas, cela n’est pas le cas.

Fondamentalement, la nƓud de la question est lĂ . Si l’accĂšs Ă  l’art et Ă  la connaissance (1) est un des Ă©lĂ©ments de l’Éducation populaire, ce n’est pas le seul. Comment implique-t-on les publics ? Quelle est la volontĂ© de faire de chacun des acteurs conscients de la sociĂ©té ? Avec quels outils ? C’est bien pour cela qu’on parle d’Éducation populaire et non de culture populaire.

Et vous qu’en pensez-vous ? Quelles sont les belles expĂ©riences d’Éducation populaire que vous avez pu vivre ? Continuez la discussion en laissant un commentaire.

(1) D’ailleurs maintenant la culture se rĂ©sume beaucoup Ă  l’art, pour le MinistĂšre. Mais sur ce sujet, je vous laisse regarder Franck Lepage qui est brillant et convaincant !

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